Depuis quelques mois, le mot circule de plus en plus souvent dans les sphères techniques, institutionnelles et environnementales : lixiviat. Ce liquide résiduel, toxique et malodorant, s’écoule des déchets enfouis et s’accumule dans nos installations. Aujourd’hui, ce ne sont pas quelques litres, mais près de 100 000 m³ qui stagnent au site de Petit Galion. À l’approche de l’automne 2025, les services de l’État et les acteurs de la gestion des déchets annoncent une crise inévitable, marquée par une saturation, des risques d’incendie, et une impossibilité croissante à traiter le flux d’ordures ménagères.

Cette crise n’est pas seulement technique. Elle est politique, culturelle et stratégique. Elle interroge directement notre modèle de consommation, notre gestion territoriale, et notre capacité à agir. Face à cette impasse, nous devons sortir de la logique du “toujours plus” et activer pleinement une autre voie : celle de l’économie circulaire.

La saturation du système : un modèle en bout de course
La Martinique produit près de 390 000 tonnes de déchets ménagers par an, dont 273 000 tonnes sont prises en charge par le SMTVD. Nos centres de stockage arrivent à saturation. Les lixiviats s’accumulent. Les options envisagées – remise en service de stations de traitement, transport coûteux de lixiviat vers des STEP externes, mise en place de presses pour réduire le volume – ne feront que différer une crise structurelle qui, tôt ou tard, nous rattrapera.

Même l’État en convient : « Le seul levier immédiat réellement efficace est la réduction de la production de déchets ».



Ce que nous pouvons faire : planifier, impulser, mobiliser
En tant que Collectivité Territoriale, nous n’avons pas la main sur l’exploitation directe des déchets – compétence des EPCI. Mais nous avons une responsabilité politique majeure : celle de planifier les transitions, impulser les changements, et mobiliser les partenaires autour d’une trajectoire structurante.

C’est le sens de la Stratégie Territoriale d’Économie Circulaire de la Martinique (STEC 2030), adoptée en 2023, dotée de 100 millions d’euros d’investissement sur sept ans, et construite autour de six axes : réduction de la dépendance aux flux, exemplarité publique, innovation locale, transition des compétences, transformation du cadre de vie, et ingénierie financière.

Cette stratégie n’est pas une abstraction. Elle commence à produire des effets concrets. Deux exemples récents le montrent.

Nou Ka Viré : du verre, des actes, un modèle
À travers l’appel à manifestation d’intérêt sur le réemploi des emballages en verre opéré par l’ADEME, la CTM et l’éco organisme CITEO, nous avons soutenu le projet Nou Ka Viré, porté par Julien Raymond, qui réintroduit dans nos pratiques le réflexe de la consigne : une borne installée en supermarché, une gratification simple, un circuit de collecte et de lavage local.

Ce n’est pas un gadget. C’est un symbole fort et une preuve de faisabilité. Si demain, nous multiplions par dix ce modèle pour les bouteilles, les bocaux, voire certains plastiques, nous réduisons mécaniquement la pression sur nos centres de tri et nos sites d’enfouissement. Nous réduisons les flux. Nous relocalisons la valeur. Nous augmentons notre résillience.

Ce projet montre que l’économie circulaire n’est pas un concept. Ce sont des business model et des actions concrètes.


CompostPeyi : une proposition concrète pour 2025–2026
Dans le cadre de la commission que je préside, une intention forte est aujourd’hui portée : faire de 2025–2026 “l’année du compost”, à travers une stratégie baptisée CompostPeyi.

Il ne s’agit pas d’un plan déjà acté, mais d’une proposition structurante, en cours de mobilisation, que je soutiens et que je m’engage à porter politiquement. L’objectif est clair : détourner jusqu’à 18 000 tonnes de biodéchets des ordures ménagères, et équiper massivement les foyers, résidences et structures publiques.

Le projet inclut :

– Des composteurs individuels subventionnés pour les maisons
– Des composteurs collectifs dans les grands ensembles urbains
– Une plateforme pédagogique et interactive pour accompagner les usagers
– Une campagne de communication créative et populaire, pensée pour toucher tous les foyers martiniquais
C’est ce type de dispositif, local, progressif et fédérateur, que nous devons encourager. Parce qu’il transforme les habitudes sans punir, et parce qu’il réduit immédiatement les volumes de déchets.

Une bataille culturelle autant que logistique
Nous n’éviterons pas la crise par la technique seule. Nous devons changer de regard. Accepter que la gestion des déchets est un levier de souveraineté, de cohésion sociale, de résilience climatique. Faire de l’économie circulaire un réflexe, pas un effort.

Cela commence dans chaque cuisine, dans chaque entreprise, dans chaque marché. Cela se traduit dans les aides que nous fléchons, les appels à projets que nous lançons, les clauses que nous intégrons à la commande publique.

Réduire nos déchets, c’est éviter des millions d’euros d’exportation. C’est créer des filières locales. C’est réduire les tensions environnementales et sociales. C’est redonner du sens à nos gestes quotidiens.

Ce qui commence maintenant
Oui, la Martinique est au pied du mur. Mais elle est aussi en mouvement. Nou Ka Viré en est la preuve. CompostPeyi en sera, je l’espère, l’accélérateur. D’autres actions viendront. Et nous ne devons pas attendre que le mur s’effondre pour agir.

Parce que notre avenir ne se résoudra pas dans une benne. Il se construit, dès maintenant, dans les choix que nous faisons, dans les modèles que nous soutenons, dans les gestes que nous encourageons.

Alexandre Ventadour

Mon itw sur Antilla: https://antilla-martinique.com/environnement-alexandre-ventadour-le-reemploi-doit-devenir-un-reflexe-naturel-en-martinique/

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